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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

point de lui faire mettre en doute la légitimité, par exemple, de certains axiomes des géomètres. Une exception cependant : la folie. Après tout, que sait-on de la folie ? Que sait-on de la luxure ? Que sait-on de leurs rapports secrets ? La luxure est une plaie mystérieuse au flanc de l’espèce. Que dire, à son flanc ? À la source même de la vie. Confondre la luxure propre à l’homme, et le désir qui rapproche les sexes, autant donner le même nom à la tumeur et à l’organe qu’elle dévore, dont il arrive que sa difformité reproduise effroyablement l’aspect. Le monde se donne beaucoup de mal, aidé de tous les prestiges de l’art, pour cacher cette plaie honteuse. On dirait qu’il redoute, à chaque génération nouvelle, une révolte de la dignité, du désespoir — le reniement des êtres encore purs, intacts. Avec quelle étrange sollicitude il veille sur les petits pour atténuer par avance, à force d’images enchanteresses, l’humiliation d’une première expérience presque forcément dérisoire ! Et lorsque s’élève quand même la plainte demi-consciente de la jeune majesté humaine bafouée, outragée par les démons, comme il sait l’étouffer sous les rires ! Quel dosage habile de sentiment et d’esprit, de pitié, de tendresse, d’ironie, quelle vigilance complice autour de l’adolescence ! Les vieux martinets ne s’affairent pas plus aux côtés de l’oisillon, à son premier vol. Et si la répugnance est trop forte, si la précieuse petite créature, sur qui veillent encore les anges, prise de nausées, essaie de