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JOURNAL

à refouler sa croyance en quelque recoin de son cerveau, où il la retrouve par un effort de réflexion, de mémoire, eût-il encore de la tendresse pour ce qui n’est plus, aurait pu être, on ne saurait donner le nom de foi à un signe abstrait, qui ne ressemble pas plus à la foi, pour reprendre une comparaison célèbre, que la constellation du Cygne à un cygne.

Je n’ai pas perdu la foi. La cruauté de l’épreuve, sa brusquerie foudroyante, inexplicable, ont bien pu bouleverser ma raison, mes nerfs, tarir subitement en moi — pour toujours, qui sait ? — l’esprit de prière, me remplir à déborder d’une résignation ténébreuse, plus effrayante que les grands sursauts du désespoir, ses chutes immenses, ma foi reste intacte, je le sens. Où elle est, je ne puis l’atteindre. Je ne la retrouve ni dans ma pauvre cervelle, incapable d’associer correctement deux idées, qui ne travaille que sur des images presque délirantes, ni dans ma sensibilité, ni même dans ma conscience. Il me semble parfois qu’elle s’est retirée, qu’elle subsiste là où certes je ne l’eusse pas cherchée, dans ma chair, dans ma misérable chair, dans mon sang et dans ma chair, ma chair périssable, mais baptisée. Je voudrais exprimer ma pensée le plus simplement, le plus naïvement possible. Je n’ai pas perdu la foi parce que Dieu a daigné me garder de l’impureté. Oh ! sans doute, un tel rapprochement ferait sourire les philosophes ! Et il est clair que les plus grands désordres ne sauraient égarer un homme raisonnable au