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JOURNAL

C’était le nom et l’adresse de Mademoiselle — une ancienne adresse probablement — à Charleville (Ardennes). L’écriture est la même que celle de la lettre anonyme. Du moins, je le crois.

À présent, que m’importe ?

Les grands de ce monde savent congédier sans réplique d’un geste, d’un regard, de moins encore. Mais Dieu…

Je n’ai perdu ni la foi, ni l’Espérance, ni la Charité. Mais que valent, pour l’homme mortel, en cette vie, les biens éternels ? C’est le désir des biens éternels qui compte. Il me semble que je ne les désire plus.

♦♦♦ Rencontré M. le curé de Torcy aux obsèques de son vieil ami. Je puis dire que la pensée du docteur Delbende ne me quitte pas. Mais une pensée, même déchirante, n’est pas, ne peut pas être une prière.

Dieu me voit et me juge.

J’ai résolu de continuer ce journal parce qu’une relation sincère, scrupuleusement exacte des événements de ma vie, au cours de l’épreuve que je traverse, peut m’être utile un jour — qui sait ? utile à moi, ou à d’autres. Car alors que mon cœur est devenu si dur (il me semble que je n’éprouve plus aucune pitié pour personne, la pitié m’est devenue aussi difficile que la prière, je le constatais cette nuit encore tandis que je veillais Adeline Soupault, et bien que je l’assistasse pourtant de mon mieux) je ne puis penser sans amitié au futur lecteur, probablement imaginaire,