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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

exhortations avec quelque scepticisme, d’ailleurs bienveillant : « Je vous comprends, monsieur l’abbé, j’ai connu vos sentiments, moi aussi, j’étais très pieux. À onze ans, je ne me serais pour rien au monde endormi sans avoir récité trois Ave Maria, et même je devais les réciter tout d’un trait, sans respirer. Autrement, ça m’aurait porté malheur, à mon idée… »

Il croyait que j’en étais resté là, que nous en restions tous là, nous, pauvres prêtres. Finalement, la veille de sa mort, je l’ai confessé. Que dire ? Ce n’est pas grand’chose, ça tiendrait parfois en peu de mots, une vie de notaire.

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Le péché contre l’espérance — le plus mortel de tous, et peut-être le mieux accueilli, le plus caressé. Il faut beaucoup de temps pour le reconnaître, et la tristesse qui l’annonce, le précède, est si douce ! C’est le plus riche des élixirs du démon, son ambroisie. Car l’angoisse…

(La page a été déchirée.)

♦♦♦ J’ai fait aujourd’hui une découverte bien étrange. Mlle Louise laisse généralement son vespéral à son banc, dans la petite case disposée à cet effet. J’ai trouvé ce matin le gros livre sur les dalles, et comme les images pieuses dont il est plein s’étaient éparpillées, j’ai dû le feuilleter un peu malgré moi. Quelques lignes manuscrites, au verso de la page de garde, me sont tombées sous les yeux.