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JOURNAL

Rien. Dieu ! je respire, j’aspire la nuit, la nuit entre en moi par je ne sais quelle inconcevable, quelle inimaginable brèche de l’âme. Je suis moi-même nuit.

Je m’efforce de penser à des angoisses pareilles à la mienne. Nulle compassion pour ces inconnus. Ma solitude est parfaite, et je la hais. Nulle pitié de moi-même.

Si j’allais ne plus aimer !

Je me suis étendu au pied de mon lit, face contre terre. Ah ! bien sûr, je ne suis pas assez naïf pour croire à l’efficacité d’un tel moyen. Je voulais seulement faire réellement le geste de l’acceptation totale, de l’abandon. J’étais couché au bord du vide, du néant, comme un mendiant, comme un ivrogne, comme un mort, et j’attendais qu’on me ramassât.

Dès la première seconde, avant même que mes lèvres n’aient touché le sol, j’ai eu honte de ce mensonge. Car je n’attendais rien.

Que ne donnerais-je pour souffrir ! La douleur elle-même se refuse. La plus habituelle, la plus humble, celle de mon estomac. Je me sens horriblement bien.

Je n’ai pas peur de la mort, elle m’est aussi indifférente que la vie, cela ne peut s’exprimer.

Il me semble avoir fait à rebours tout le chemin parcouru depuis que Dieu m’a tiré