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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

je n’ai pas osé aller jusqu’à l’église. Jamais je ne me suis tant efforcé de prier, d’abord posément, calmement, puis avec une sorte de violence concentrée, farouche et enfin le sang-froid retrouvé à grand’peine — avec une volonté presque désespérée (ce dernier mot me fait horreur), un emportement de volonté, dont tout mon cœur tremblait d’angoisse. Rien.

Oh ! je sais parfaitement que le désir de la prière est déjà une prière, et que Dieu n’en saurait demander plus. Mais je ne m’acquittais pas d’un devoir. La prière m’était à ce moment aussi indispensable que l’air à mes poumons, que l’oxygène à mon sang. Derrière moi, ce n’était plus la vie quotidienne, familière, à laquelle on vient d’échapper d’un élan, tout en gardant au fond de soi-même la certitude d’y rentrer dès qu’on le voudra. Derrière moi il n’y avait rien. Et devant moi un mur, un mur noir.

Nous nous faisons généralement de la prière une si absurde idée ! Comment ceux qui ne la connaissent guère — peu ou pas — osent-ils en parler avec tant de légèreté ? Un trappiste, un chartreux travaillera des années pour devenir un homme de prière, et le premier étourdi venu prétendra juger de l’effort de toute une vie ! Si la prière était réellement ce qu’ils pensent, une sorte de bavardage, le dialogue d’un maniaque avec son ombre, ou moins encore — une vaine et superstitieuse requête en vue d’obtenir les biens de ce monde, — serait-il croyable que des mil-