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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

volontaire qui ne me permet pas de les mettre tout à fait au compte d’une curiosité maladive commune à beaucoup de ses pareilles. D’abord, elle ne s’y livre jamais qu’en présence de ses petites compagnes, et elle affecte alors, à mon égard, un air de complicité, d’entente qui m’a longtemps fait sourire, dont je commence à peine à sentir le péril. Lorsque je la rencontre, par hasard, sur la route — et je la rencontre un peu plus souvent qu’il ne faudrait — elle me salue posément, gravement, avec une simplicité parfaite. J’y ai été pris un jour. Elle m’a attendu sans bouger, les yeux baissés, tandis que j’avançais vers elle, en lui parlant doucement. J’avais l’air d’un charmeur d’oiseaux. Elle n’a pas fait un geste, aussi longtemps qu’elle s’est trouvée hors de ma portée, mais comme j’allais l’atteindre — sa tête était inclinée si bas vers la terre que je ne voyais plus que sa petite nuque têtue, rarement levée — elle m’a échappé d’un bond, jetant dans le fossé sa gibecière. J’ai dû faire rapporter cette dernière par mon enfant de chœur, qu’on a très mal reçu.

Mme Dumouchel s’est montrée polie. Sans doute l’ignorance de sa fille justifierait assez la décision que j’ai prise, mais ce ne serait qu’un prétexte. Séraphita est d’ailleurs trop intelligente pour ne pas se tirer avantageusement d’une seconde épreuve, et je ne dois pas courir le risque d’un démenti humiliant. Le plus discrètement possible, j’ai donc essayé de faire comprendre à Mme Dumouchel