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Je me disais donc que le monde est dévoré par l’ennui. Naturellement, il faut un peu réfléchir pour se rendre compte, ça ne se saisit pas tout de suite. C’est une espèce de poussière. Vous allez et venez sans la voir, vous la respirez, vous la mangez, vous la buvez, et elle est si fine, si ténue qu’elle ne craque même pas sous la dent. Mais que vous vous arrêtiez une seconde, la voilà qui recouvre votre visage, vos mains. Vous devez vous agiter sans cesse pour secouer cette pluie de cendres. Alors, le monde s’agite beaucoup.

On dira peut-être que le monde est depuis longtemps familiarisé avec l’ennui, que l’ennui est la véritable condition de l’homme. Possible que la semence en fût répandue partout et qu’elle germât çà et là, sur un terrain favorable. Mais je me demande si les hommes ont jamais connu cette contagion de l’ennui, cette lèpre ? Un désespoir avorté, une forme turpide du désespoir, qui est sans doute comme la fermentation d’un christianisme décomposé.

Évidemment, ce sont là des pensées que je garde pour moi. Je n’en ai pas honte pourtant. Je crois même que je me ferais très bien comprendre, trop bien peut-être pour mon repos — je veux dire le repos de ma conscience. L’optimisme des supérieurs est bien mort. Ceux qui le professent encore l’enseignent par habitude, sans y croire. À la moindre objection, ils vous prodiguent des sourires entendus, demandent grâce. Les vieux prêtres ne s’y trompent pas. En dépit