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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

vanité, de ses vices. Le Pauvre, lui, vit de la charité. Quel mot sublime !

♦♦♦ Je ne sais pas ce qui s’est passé cette nuit, j’ai dû rêver. Vers trois heures du matin (je venais de me faire chauffer un peu de vin et j’émiettais dedans mon pain comme d’habitude) la porte du jardin s’est mise à battre et si violemment que j’ai dû descendre. Je l’ai trouvée close, ce qui, d’une certaine manière, ne m’a pas autrement surpris, car j’étais sûr de l’avoir fermée la veille, ainsi que chaque soir, d’ailleurs. Vingt minutes plus tard environ, elle s’est mise encore à battre, plus violemment que la première fois (il faisait beaucoup de vent, une vraie tempête). C’est une ridicule histoire…

J’ai recommencé mes visites à la grâce de Dieu ! Les remarques de M. le curé de Torcy m’ont rendu prudent ; je tâche de m’en tenir à un petit nombre de questions faites le plus discrètement que je puis, et — en apparence du moins — banales. Selon la réponse, je m’efforce de porter le débat un peu plus haut, pas trop, jusqu’à ce que nous rencontrions ensemble une vérité, choisie aussi humble que possible. Mais il n’y a pas de vérités moyennes ! Quelque précaution que je prenne, et quand j’éviterais même de le prononcer des lèvres, le nom de Dieu semble rayonner tout à coup dans cet air épais, étouffant, et des visages qui s’ouvraient déjà se ferment. Il serait plus juste de dire qu’ils s’obscurcissent, s’enténèbrent.