Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/125

Cette page a été validée par deux contributeurs.
115
D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

de mine. Sauf respect, tu ressembles à ces cornichons de jeunes maris qui se flattent « d’étudier leur femme » alors qu’elle a pris leur mesure, en long et en large, du premier coup.

— Alors ?… (Je pouvais à peine parler, j’étais confondu.)

— Alors ?… Hé bien, continue, qu’est-ce que tu veux que je te dise ! Tu n’as pas l’ombre d’amour-propre, et il est difficile d’avoir une opinion sur tes expériences, parce que tu les fais à fond, tu t’engages. Naturellement, on n’a pas tort d’agir selon la prudence humaine. Souviens-toi de cette parole de Ruysbroeck l’Admirable, un Flamand comme moi : « Quand tu serais ravi en Dieu, si un malade te réclame une tasse de bouillon, descends du septième ciel, et donne-lui ce qu’il demande. » C’est un beau précepte, oui, mais il ne doit pas servir de prétexte à la paresse. Car il y a une paresse surnaturelle qui vient avec l’âge, l’expérience, les déceptions. Ah ! les vieux prêtres sont durs ! La dernière des imprudences est la prudence, lorsqu’elle nous prépare tout doucement à nous passer de Dieu. Il y a de vieux prêtres effrayants.

Je rapporte ses paroles comme je puis, plutôt mal. Car je les écoutais à peine. Je devinais tant de choses ! Je n’ai aucune confiance en moi, et pourtant ma bonne volonté est si grande que j’imagine toujours qu’elle saute aux yeux, qu’on me jugera sur mes intentions. Quelle folie ! Alors que je me