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JOURNAL

(Depuis deux jours, je me reproche de n’avoir pas répondu à cette espèce de réquisitoire et pourtant, tout au fond de moi-même, je ne puis me donner tort. D’ailleurs, qu’aurais-je dit ? Je ne suis pas l’ambassadeur du Dieu des philosophes, je suis le serviteur de Jésus-Christ. Et ce qui me serait venu aux lèvres, je le crains, n’eût été qu’une argumentation très forte sans doute, mais si faible aussi qu’elle m’a convaincu depuis longtemps sans m’apaiser.)

Il n’est de paix que Jésus-Christ.

♦♦♦ La première partie de mon programme est en voie de réalisation. J’ai entrepris de visiter chaque famille une fois par trimestre, au moins. Mes confrères qualifient volontiers ce projet d’extravagant, et il est vrai que l’engagement sera dur à tenir car je dois avant tout ne négliger aucun de mes devoirs. Les gens qui prétendent nous juger de loin, du fond d’un bureau confortable, où ils refont chaque jour le même travail, ne peuvent guère se faire idée du désordre, du « décousu » de notre vie quotidienne. À peine suffisons-nous à la besogne régulière — celle dont la stricte exécution fait dire à nos supérieurs : voilà une paroisse bien tenue. — Reste l’imprévu. Et l’imprévu n’est jamais négligeable ! Suis-je là où Notre-Seigneur me veut ? Question que je me pose vingt fois le jour. Car le Maître que nous servons ne juge pas notre vie seulement — il la