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salut que par un hochement de tête très froid, très distant.

J’ai vu aujourd’hui le docteur Delbende, un vieux médecin qui passe pour brutal et n’exerce plus guère, car ses collègues tournent volontiers en dérision ses culottes de velours et ses bottes toujours graissées, qui dégagent une odeur de suif. Le curé de Torcy l’avait prévenu de ma visite. Il m’a fait étendre sur son divan et m’a longuement palpé l’estomac de ses longues mains qui n’étaient guère propres, en effet (il revenait de la chasse). Tandis qu’il m’auscultait, son grand chien, couché sur le seuil, suivait chacun de ses mouvements avec une attention extraordinaire, adorante.

— Vous ne valez pas cher, m’a-t-il dit. Rien qu’à voir ça (il avait l’air de prendre son chien à témoin), pas difficile de comprendre que vous n’avez pas toujours mangé votre saoul, hein ?…

— Jadis, peut-être, ai-je répondu. Mais à présent…

— À présent, il est trop tard ! Et l’alcool, qu’est-ce que vous en faites, de l’alcool ? Oh ! pas celui que vous avez bu, naturellement. Celui qu’on a bu pour vous, bien avant que vous ne veniez au monde. Revenez me voir dans quinze jours, je vous donnerai un mot pour le professeur Lavigne, de Lille.

Mon Dieu, je sais parfaitement que l’hérédité pèse lourd sur des épaules comme les miennes, mais ce mot d’alcoolisme est dur à