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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

ressenti les premières atteintes de ce mal, et je me souviens à peine de ces jours où je mangeais et buvais comme tout le monde. Mauvais signe.

Cependant les crises disparaissent. Il n’y a plus de crises. J’ai délibérément supprimé la viande, les légumes, je me nourris de pain trempé dans le vin, pris en très petite quantité, chaque fois que je me sens un peu étourdi. Le jeûne me réussit d’ailleurs très bien. Ma tête est libre et je me sens plus fort qu’il y a trois semaines, beaucoup plus fort.

Personne ne s’inquiète à présent de mes malaises. La vérité est que je commence à m’habituer moi-même à cette triste figure qui ne peut plus maigrir et qui garde cependant un air — inexplicable — de jeunesse, je n’ose pas dire : de santé. À mon âge, un visage ne s’effondre pas, la peau, tendue sur les os, reste élastique. C’est toujours ça !

Je relis ces lignes écrites hier soir : j’ai passé une bonne nuit, très reposante, je me sens plein de courage, d’espoir. C’est une réponse de la Providence à mes jérémiades, un reproche plein de douceur. J’ai souvent remarqué — ou cru saisir — cette imperceptible ironie (je ne trouve malheureusement pas d’autre mot). On dirait le haussement d’épaules d’une mère attentive aux pas maladroits de son petit enfant. Ah ! si nous savions prier !

Mme la comtesse ne répond plus à mon