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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

on voudrait nous le faire croire, par la révolte plus ou moins consciente des appétits contre la Loi et ceux qui l’incarnent… À quoi bon le nier ? Pour éprouver un sentiment de répulsion devant la laideur, il n’est pas nécessaire d’avoir une idée très claire du Beau. Le prêtre médiocre est laid.

Je ne parle pas du mauvais prêtre. Ou plutôt le mauvais prêtre est le prêtre médiocre. L’autre est un monstre. La monstruosité échappe à toute commune mesure. Qui peut savoir les desseins de Dieu sur un monstre ? À quoi sert-il ? Quelle est la signification surnaturelle d’une si étonnante disgrâce ? J’ai beau faire, je ne puis croire, par exemple, que Judas appartienne au monde — à ce monde pour lequel Jésus a mystérieusement refusé sa prière… — Judas n’est pas de ce monde-là…

Je suis sûr que mon malheureux ami ne mérite pas le nom de mauvais prêtre. Je suppose même qu’il est sincèrement attaché à sa compagne, car je l’ai connu jadis sentimental. Le prêtre médiocre, hélas ! l’est presque toujours. Peut-être le vice est-il moins dangereux pour nous qu’une certaine fadeur ? Il y a des ramollissements du cerveau. Le ramollissement du cœur est pire.

♦♦♦ En revenant ce matin de mon annexe, à travers champs, j’ai aperçu M. le comte qui faisait quêter ses chiens le long du bois de Linières. Il m’a salué de loin, mais ne semblait pas très désireux de me parler. Je pense