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peux pas. Il y a une certaine bêtise, un certain accent de bêtise, où je reconnais du premier coup, avec une horrible humiliation, l’orgueil sacerdotal, mais dépouillé de tout caractère surnaturel, tourné en niaiserie, tourné comme une sauce tourne. Comme nous sommes désarmés devant les hommes, la vie ! Quel absurde enfantillage !

Et pourtant mon ancien camarade passait pour l’un des meilleurs élèves du séminaire, le mieux doué. Il ne manquait même pas d’une expérience précoce, un peu ironique, des êtres et il jugeait certains de nos professeurs avec assez de lucidité. Pourquoi tente-t-il aujourd’hui de m’en imposer par de pauvres fanfaronnades desquelles je suppose, d’ailleurs, qu’il n’est pas dupe ? Comme tant d’autres, il finira dans quelque bureau où son mauvais caractère, sa susceptibilité maladive le rendront suspect à ses camarades, et quelque soin qu’il prenne à leur cacher le passé, je doute qu’il ait jamais beaucoup d’amis.

Nous payons cher, très cher, la dignité surhumaine de notre vocation. Le ridicule est toujours si près du sublime ! Et le monde, si indulgent d’ordinaire aux ridicules, hait le nôtre, d’instinct. La bêtise féminine est déjà bien irritante, la bêtise cléricale l’est plus encore que la bêtise féminine, dont elle semble d’ailleurs parfois le mystérieux surgeon. L’éloignement de tant de pauvres gens pour le prêtre, leur antipathie profonde ne s’explique peut-être pas seulement, comme