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Le groupe formé autour de la table contemplait avec une curiosité mêlée de stupeur le magistrat aux cheveux gris s’entretenant avec ce jeune prêtre inconnu sur un ton d’empressement et de déférence.

– L’auteur du crime – je veux dire l’auteur principal – est un habitant de Mégère, fit-il en donnant à son visage une expression vague et distraite. De toute manière, nous serons bientôt fixés : on ne sort pas d’un pays comme celui-ci plus facilement qu’on y entre, et, à l’heure actuelle, de Fillière à Dombasle, tous les chemins sont gardés… Permettez ?

Il tourna le dos brusquement, descendit les marches et s’engagea dans l’allée de toute la vitesse de ses courtes jambes.

– Monsieur le procureur de la République…

– Bonjour, Frescheville, dit le nouveau venu. Chien de temps !

Il baissa le col de sa pelisse et ses moustaches gauloises apparurent hérissées de minuscules glaçons.

– Qu’est-ce que c’est ?

Il désignait du menton le prêtre qui, après avoir hésité, remonta les marches et rentra dans la maison.

– Le nouveau curé de Mégère.

– Ah ! On m’en a dit beaucoup de bien. Très jeune. Venu cette nuit, hein ?

– Un homme supérieur, affirma le juge, dont toute la personne, et jusqu’à l’expression, jusqu’au regard, venait de se transformer avec une rapidité surprenante.

– Au travail, messieurs.

Le procureur souleva légèrement son chapeau avec un regard circulaire.

– Enlevez les paperasses ! Pas de paperasses ici ! dit-il au greffier. Parlons d’abord. Causons entre nous à la bonne franquette. Vous grossoyerez après.

Et comme la toux discrète du juge semblait devoir préluder à un exposé méthodique de l’affaire :

– Sais tout. Inutile. Où sont les premiers témoins ? Où est le maire ? C’est vous qui avez trouvé le cadavre ?

– Oui, monsieur le procureur.

– Seul ?

– Non, monsieur le procureur. Mon garde champêtre, les deux Heurtebise et Drumeau.