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Le prêtre soupira mais garda le silence. Parmi tous ces hommes empressés autour du misérable vaincu, et si malhabiles à déguiser la curiosité sauvage qui donnait à leurs visages, d’ordinaire insignifiants, une expression de férocité sournoise, il semblait faire effort pour cacher son dégoût. Les yeux se baissaient d’eux-mêmes, dès qu’il appuyait un moment sur eux son regard vague et triste. Toujours en silence, il s’approcha du moribond, s’agenouilla et commença de prier. D’un accord tacite, ils s’écartèrent tous, les uns après les autres. Le médecin de Mégère lui-même, tirant une cigarette de son étui, s’éloigna dans la direction de la route. Quelques minutes se passèrent.

– Docteur, appela le prêtre tout à coup. Sa voix était plus grave.

– Il est mort, reprit-il, du moins je le crois.

Le maire fut près de lui le premier. Bien qu’il essayât de le dissimuler, son soulagement était visible. Il demanda sur un ton que le tragique des circonstances empêchait seul d’être comique.

– Il est bien mort ? En êtes-vous sûr ? Le prêtre lui tourna le dos.

– Je m’y attendais, fit le médecin de Mégère.

Il ausculta le cœur un long moment, releva la tête et dit, exagérant encore sa froideur professionnelle :

– Pas mort. Il y a même dans tout cela une chose qui m’échappe, poursuivit-il à voix basse, et presque à l’oreille du curé de Mégère… La respiration doit être embarrassée par quelque caillot, le cœur se défend bien.

– On ne peut quand même pas le laisser là, remarqua l’un des gendarmes avec un regard de biais vers le prêtre, sans doute dans l’espoir d’être approuvé.

La petite moustache blonde du docteur trembla de colère.

– Monsieur le gendarme, dit-il, vous parlez comme un imbécile. Le moribond est intransportable, in-trans-por-ta-ble, comprenez-vous ?

Il pirouetta sur les talons et interrogea des yeux le grand Heurtebise qui accourait du château, tout essoufflé :

– M. le juge d’instruction nous demande tous là-haut ! Rassemblement !