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– Courage ! murmura le curé de Mégère, comme s’il se fût parlé à lui-même. Il se remit sur ses jambes avec un gémissement de douleur. Inconsciemment ou non, sa main cherchait celle du petit clergeon, qui la sentit sèche et brûlante.

– Distinguez-vous clairement la route ? dit-il. Mes yeux se troublent, j’ai horriblement mal à la tête.

– Il y a beaucoup de monde en bas, sur la route, et un autre groupe un peu plus haut, dans le taillis. D’où nous sommes, il n’est pas possible de voir le château.

– Allons.

Ils eurent beaucoup de peine à se frayer un chemin. L’espèce de sentier qu’ils suivaient était encombré de grosses pierres, roulées là par les crues d’avril.

– Vous pourriez vous reposer un moment chez Drumeau, monsieur le curé. La maison n’est pas loin, à présent, sur notre gauche.

– Non, dit le prêtre entre ses dents, avec une énergie farouche.

Ce fut Claude Heurtebise qui les aperçut le premier. Ils le virent échanger quelques mots avec un gendarme, mais la distance était encore trop grande pour qu’ils pussent rien entendre. Le gendarme, d’ailleurs, se remit aussitôt à son travail. Il semblait mesurer avec beaucoup de soin la largeur de la route, d’un arbre à l’autre. Le maire sortit si brusquement du fourré que l’enfant poussa un cri de terreur. À la vue du prêtre, la figure poupine exprima moins de surprise que d’ennui.

– Qui aurait pu croire ? répétait-il, en passant son énorme mouchoir sur son front ruisselant de sueur, malgré le froid. C’est pas croyable !

Mais le curé de Mégère, encore livide, avait retrouvé cet air d’attention courtoise, de conviction grave et douce qui rendait courage à tous. Les yeux du gros homme s’éclairèrent instantanément.

– Bah ! monsieur le curé, dit-il, vous n’êtes pas de trop. Pour moi, les gendarmes bafouillent. Ils vont, ils viennent, arpentent le chemin, comptent les pierres, sacrés farceurs ! Auraient-ils pas mieux fait de battre le pays tout de suite ? Sûr que l’assassin a des complices.