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Il avait commencé dans un élan de tout son être et s’arrêta brusquement, rouge de honte et de plaisir. Une fois de plus, il croyait lire sa pensée au fond du regard si calme.

– Je voudrais vous ressembler un jour, termina tranquillement le curé de Mégère. N’est-ce pas cela que vous alliez dire ?

– Oui, balbutia le petit clergeon.

Il cherchait une parole qui exprimât sa merveilleuse surprise et ne la trouvait pas. La solitude exaltée où s’était nourri si longtemps son jeune orgueil parmi ces hommes grossiers qu’il redoutait et méprisait à la fois, ne serait pas rompue en un jour, mais il la sentait toute prête à céder, à s’ouvrir, ainsi qu’un mur battu par la mer. Toute parole eût d’ailleurs paru vile à son cœur comblé. Ses longs yeux s’emplirent de larmes.

Le prêtre parut ne pas les voir, et aussitôt l’enfant ne put les retenir, elles inondèrent ses joues. Il se pencha sur la main du curé de Mégère, la baisa. Puis il resta la face enfouie dans les plis de la couverture sans oser faire un mouvement.

– Et maintenant, reprit le prêtre après un long silence, je puis vous parler plus librement de… des… enfin de ce drame affreux… Madame… mademoiselle… notre sonneuse, je crois ?

– Mamzelle Phémie ?

– C’est cela même. Mlle Phémie est venue nous apprendre au petit jour que la police avait découvert deux cadavres. Deux cadavres ! Dieu l’a ainsi voulu. Comment aurais-je pu intervenir plus tôt ?

– Deux cadavres, répéta l’enfant. Je croyais… Le curé de Mégère l’interrogea du regard.

– Que croyez-vous ?

– Ils disaient tout à l’heure que… que l’homme était encore en vie.

– En vie !… reprit le prêtre d’une voix profonde, presque sinistre. Madame Céleste !

La servante parut aussitôt.

– Madame Céleste, est-il vrai que…

Il n’eut pas besoin d’ajouter un mot. La vieille fille après avoir jeté sur le plafond un regard suppliant, se mit à trembler comme la feuille.

– Vous m’avez menti, continua le prêtre, vous le saviez…