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III.



– Il n’y aura pas de messe ce matin, que je te dis, Sainte Nitouche ! Et peut-être pas avant dimanche, ainsi !

– Et pourquoi ça, mademoiselle Céleste ? On va sûrement me le demander…

– Si on te le demande, tu répondras que tu n’en sais rien.

Le petit clergeon fait docilement « oui »de la tête. C’est le fils de Mme Gaspard, une veuve, et il doit rentrer à l’automne au séminaire de Gap, à l’école des prêtres. Ses traits charmants ont une gravité précoce. La vieille déteste, sans d’ailleurs savoir pourquoi, les beaux yeux longs, toujours cernés d’une ombre bleue, la bouche pâle, la double fossette du menton, aussi doux que celui d’une femme. Quand il sourit, ses narines battent, comme ses paupières bistrées, à la même cadence.

– Tiens ! dit-elle tout à coup, prends ça, et fiche-moi le camp.

Elle lui a mis dans la main une grosse pomme et le pousse vers la porte, en grognant. Elle ne s’expliquera jamais ce brusque mouvement de pitié, peut-être de tendresse, et lui ne se l’explique pas non plus. Comment devinerait-il qu’elle a cru reconnaître, soudain, en un éclair… Oui, c’est bien ainsi qu’il devait être, voilà quinze ans : un autre petit paysan tout pareil, avec son sourire triste… le nouveau curé de Mégère.

– À qui parlez-vous, Céleste ? demande le prêtre de l’autre côté du mur. Ne craignez rien, je suis réveillé depuis longtemps.

Elle dénoue en hâte le cordon de son tablier, court jusqu’à la porte, et reste sur le seuil, très rouge.

– À l’enfant de chœur, monsieur le curé. Il venait s’informer, rapport à votre messe. Vous pouvez pas dire votre messe aujourd’hui.

– Priez-le d’entrer.

Elle revint dans la cuisine, bourrue. Quel plaisir elle aurait à calotter ce jocrisse ! Mais il ne perdra rien pour attendre !