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nuit.

– Bigre…

Les mains dans ses poches, tête basse, il sifflait entre ses dents, cherchant à rassembler ses souvenirs. Puis il commença à bourrer tranquillement sa pipe.

– Voyez-vous, faut être juste, le vent n’est tombé qu’à la mi-nuit. Tant qu’il souffle, ces diables de sapins font un bruit ! Pensez : le bois pousse comme il veut, c’est plein de branches mortes, une vraie forêt vierge. Dans ces moments-là, vous pourriez toujours tirer le pistolet, malheur ! Ça craque et ça grince, ça détone des fois comme la Souippe, aux crues d’avril. Mais… vers deux heures, la brise a sauté plein nord ; le calme est venu, c’est vrai qu’on aurait entendu souffler une belette. Possible que je me sois endormi, conclut-il en se grattant la tête sous sa casquette de laine, seulement, un vieux bûcheron comme moi, ça ne dort que d’un…

Tout en parlant, ils avaient atteint le tournant de la route, et revenaient un peu en désordre vers l’entrée de la sente étroite tracée par Drumeau lui-même et qui, cent pas plus loin, aboutit à sa chaumière. Ce fut à ce moment que l’image sinistre déjà bien éloignée de leur pensée, vint de nouveau s’emparer d’elle.

– Hé, Polyte, disait Jean-Louis Heurtebise au bûcheron déjà disparu dans le taillis, fait pas encore jour, ne laisse pas là ta bécane, mon homme !

– Quelle bécane ?

Elle était là, posée contre le fût d’un grand pin, à peine dissimulée par les ronces. L’espèce de lueur qui des collines voisines semblait depuis un moment glisser à ras de terre, le long des pentes, comme une eau louche, faisait luire son guidon nickelé. Il paraissait incroyable qu’elle eût pu jusqu’alors échapper à leurs regards.

– Sacrédié ! fit le maire.

Le gars Drumeau revint en courant tout essoufflé.

– J’aurais bien juré qu’elle ne s’y trouvait pas, je l’aurais bien juré, parole d’homme, répétait-il machinalement… et la buée de son haleine continuait de monter dans l’air calme.