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II.



– Qu’est-ce que vous en dites, de notre nouveau curé, Firmin ?

– Ben, monsieur le maire, un gamin, avec son air de petite fille, mais selon moi, voyez-vous, plus réfléchi qu’on ne suppose. Vous n’auriez pas dû le laisser là-haut, il n’y avait qu’à prendre notre temps.

Ils couraient sur la route gelée. Le claquement de leurs sabots faisait un seul roulement qu’on devait entendre là-bas, aux premières maisons du bourg. Une vague rumeur montait derrière eux.

Tout Mégère savait depuis longtemps que la grande Phémie n’avait peur de rien. Cette fois encore elle n’aurait pas déçu leur attente. À peine informée par Céleste, elle dégringolait la pente de toute la vitesse de ses longues jambes et cinq minutes plus tard frappait de sa socque à la porte du maire, dont la maison un peu isolée par un vaste enclos est l’une des plus rapprochées de l’église. Le temps qu’il enfilât sa culotte, ouvrît sa fenêtre, elle avait déjà secoué la sonnette du cabaretier Mendol chez qui le vieux garde champêtre Firmin prend pension depuis la mort de sa femme, et tirait de leur lit, du même coup, les deux fils de Mme Heurtebise qu’elle retrouva une minute plus tard, ivres encore de sommeil et grognant comme des ours sur la petite place où déjà le maire, hors de lui, menaçait de boucler cette sacrée garce dans le local des pompiers, « histoire de lui apprendre à mettre par ses contes la commune sens dessus dessous ». L’arrivée du curé de Mégère avait mis fin à la dispute, les quatre hommes décidant « de faire un tour là-bas, puisque aussi bien la nuit est fichue… » De l’autre côté du Mail, derrière les platanes géants, le reste du village n’a rien entendu, ne sait rien.