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Elle ouvrait la bouche pour répondre lorsque la lumière de la lampe électrique, le temps d’un éclair, la frappa en plein visage. Elle ne put que balbutier :

– Je ne sais pas…

– Trompé ou non, reprit-il, nous devons maintenant aller jusqu’au bout. Oui, n’eussions-nous qu’une chance, cette unique chance est celle d’une créature humaine en péril ; notre remords serait trop grand de la lui faire perdre par notre faute. Je suis un homme paisible, mademoiselle Céleste, et même un peu plus craintif qu’il ne conviendrait sans doute. Mais je suis prêtre aussi.

Il prononça les derniers mots d’une voix claire qui dut porter fort loin, beaucoup plus loin qu’il ne le supposait, dangereusement loin dans cet air sec, aussi sonore qu’une enclume. La vieille fille mit aussitôt un doigt sur ses lèvres.

– Certes, poursuivit-il après un long silence coupé d’accès de toux, nous courons le risque d’être… Je cours le risque d’être un peu ridicule. N’importe. Les épreuves de Dieu sont ce qu’elles sont, grandes ou petites… Mon avis – il se reprit – ma volonté, mademoiselle Céleste, est de pousser jusqu’à la première maison venue, coûte que coûte. Si ma pauvre mémoire ne me trompe, il en est une pas très loin d’ici, vers la gauche. Mais y trouverons-nous du secours ?

– C’est la maison de Phémie – de la sonneuse – de votre sonneuse, monsieur le curé.

– Est-elle capable d’aller donner l’éveil, d’expliquer ?… Je crains de ne pouvoir prendre part aux recherches, et d’ailleurs un prêtre n’est pas un gendarme. Je ne puis qu’offrir mon secours au blessé, le cas échéant. Que dites-vous ?…

La petite lampe électrique s’alluma aussi brusquement que la première fois, et sur les traits bouleversés de sa servante, le curé de Mégère put voir se dessiner une espèce de sourire.

– Dieu ! dit Mlle Céleste, Phémie ? Elle pourrait bien réveiller tout le canton.