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neige, le soleil, la lente action des eaux secrètes qui poursuivent été comme hiver leur travail souterrain, que de chevaux couronnés, que d’essieux tordus ! La semaine dernière encore… Mais elle pensait à l’adjoint sacrant et pestant sous la bise, au sacristain vainement sanglé dans son habit neuf, aux commères, dès midi à l’affût derrière les vitres, à la déception de toute la commune. « Faudra que je lui conseille de trouver un bon mot d’excuse, dimanche, à la messe… »

Il était certainement transi, mais il ne laissa paraître aucune déception lorsque, s’étant approché du fourneau de la cuisine, il constata qu’il était froid.

– Je désirerais, dit-il, une boisson chaude. Est-ce possible ?

– Le temps d’aller chercher un fagot. Monsieur le curé m’excusera, le bois et le charbon sont dans la resserre. Si monsieur le curé veut bien tenir la lampe un petit moment ?… oh ! rien qu’au ras du couloir, ça suffit.

Elle remarqua tout à coup qu’il portait des gants de filoselle noire, mince protection contre le vent du nord. Sa soutane était usée, mais propre, et, d’un coup d’œil, elle vit que deux boutons y manquaient. Leurs regards alors se croisèrent.

– Voilà du travail pour vous, mademoiselle Céleste, fit-il en souriant.

Elle ne devait jamais oublier ce sourire qui, si vite, avait conquis son cœur, gagné sa fidélité pour toujours. Eut-elle dès ce moment le pressentiment qu’il serait la consolation de sa dernière heure, la suprême vision qu’elle emporterait de ce monde où sa simplicité ne s’était guère étonnée de rien ?

L’idée ne lui vint qu’au seuil de la resserre. Elle se retourna brusquement, comme piquée d’un taon.

– Comment savez-vous que je m’appelle Céleste ? Le curé de Mégère sourit encore.

– On m’a beaucoup parlé de vous hier, dit-il, et pas très clairement, je l’avoue. Mais j’ai cependant retenu votre nom.

Elle grimaça de plaisir et feignit de compter les fagotins qu’elle jetait l’un après l’autre dans son tablier.