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II.



– Le papier est un peu moche, je ne dis pas, fit le garçon avec une dignité mélancolique, mais on n’écrit jamais ici, ou presque. La gare n’est pas trop passante, une vraie saleté…

Il expliqua qu’il avait servi jadis au café du Dôme, à Bayonne.

– Mon estomac ne supporte pas la ville, la ville est trop échauffante, on fait des excès malgré soi. D’ailleurs je suis un gazé, reprit-il fièrement, j’ai une pension. Si je bibelote, c’est pour m’occuper, voilà tout.

Il éleva l’encrier jusqu’à son œil jaune et triste, passa sur la plume un pouce expert et resta debout, immobile.

– Madame reprend l’omnibus de 9 h. 18, vers Quincy ? Départ 9 h. 18, arrivée 11 h. 15. C’est malheureux de voir un tacot pareil ! De Bayonne ici, quatre heures, quatre et deux font six. Six heures pour 180 kilomètres, vous parlez d’une moyenne ! Les gars du Tour de France font mieux… Pain-beurre ou croissant ?

– Rien du tout. Du café noir.

– Café noir… café noir… (l’œil jaune parut s’attrister encore). Je serai forcé de vous servir « un spécial », « l’express » ne marche que plus tard, rapport à la pression… Si Madame voulait, je…

– Mon ami, dit la voyageuse sans se retourner, d’une voix douce bien qu’étrangement volée, je voudrais seulement que vous me fichiez la paix.

Elle trempa sa plume dans l’encre et commença d’écrire avant que le garçon eût trouvé sa réplique.