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PREMIÈRE PARTIE.

I

— Qui va là ? C’est toi, Phémie ?

Mais il était peu probable que la sonneuse vînt si tard au presbytère. Sous la fenêtre, le regard anxieux de la vieille bonne ne pouvait guère voir plus loin que le premier tournant de l’allée ; le petit jardin se perdait au-delà, dans les ténèbres.

— C’est-i vous, Phémie ! reprit-elle sans conviction, d’une voix maintenant tout à fait tremblante.

Elle n’osait plus fermer la fenêtre, et pourtant le sourd roulement du vent au fond de la vallée grandissant de minute en minute comme chaque soir, ne s’apaiserait qu’avec les premiers brouillards de l’aube. Mais elle redoutait plus que la nuit l’odeur fade de cette maison solitaire pleine des souvenirs d’un mort. Un long moment, ses deux mains restèrent crispées sur le montant de la fenêtre ; elle dut faire effort pour les desserrer. Comme ses doigts s’attardaient encore sur l’espagnolette, elle poussa un cri de terreur.

— Dieu ! que vous m’avez fait crainte. Par où que vous êtes montée, sans plus de bruit qu’une belette, mam’zelle Phémie ?

La fille répondit en riant :

— Ben, par le lavoir, donc. Drôle de gardienne que vous faites, sans reproche, mademoiselle Céleste ! On entre ici comme dans le moulin du père Anselme, parole d’honneur.

Sans attendre la réponse, elle prit une tasse sur l’étagère et se mit tranquillement en demeure de la remplir de genièvre.

— Vous allez tout de même pas me boire ma goutte ?

— On voit bien que vous restez là au chaud, mademoiselle Céleste. Le vent vient de tourner du côté des Trois-Évêques.