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automnes, une poussière coupante comme le verre. Parfois la brise fraîchit et le cirque solitaire crache vers le ciel un nuage épais de feuilles mortes qui montent d’abord comme aspirées par le soleil pâle, puis s’éparpillent en un clin d’œil, happées par la gueule géante et glacée du fleuve, tandis que tournoie lentement au-dessus du gouffre une plume de palombe.

Ils s’assirent côte à côte au seuil de l’étroite brèche ouverte sur la Bidassoa. De la rive opposée, seule visible, montait le refrain curieusement scandé d’un douanier espagnol qui, sa journée faite, en bras de chemise, surveillait encore, par habitude, les anses et les criques hantées par les fraudeurs. À cet endroit la falaise s’abaisse, et ils pouvaient entendre, à chaque intervalle du chant, le formidable remous du fleuve, le roulement des galets sur les fonds et lorsqu’une vague plus puissante venait mordre sur l’éperon de granit le déchirement des eaux et le sifflement de l’écume.

– Je ne vous en veux pas, dit le curé de Mégère. Les lettres que vous avez lues, je les aurais détruites ce soir même. Et il ne me déplaît pas que vous ayez appris par vous-même, dès aujourd’hui, ce que vous ne comprendrez que plus tard, si vous le comprenez jamais. Je suis seulement attristé d’avoir troublé votre conscience.

– Ma conscience ! fit l’enfant avec un emportement farouche. Il ne s’agit pas de ma conscience ! Je me moque bien de ma conscience ! Ce n’est pas ma conscience qui… Mais vous allez me mentir encore. Que sais-je de vous ? Au lieu que cette femme…

– Silence ! dit le prêtre à voix basse. Elle non plus ne me connaît guère. Elle me connaîtra moins que vous, car vous me voyez au seul moment de ma vie sans doute où je puis enfin être moi-même. En quoi d’ailleurs vous ai-je menti ? Et d’abord qu’appelez-vous des mensonges ? Le monde est plein de gens qui ne dissimulent rien parce qu’ils n’ont rien à cacher. Ils ne sont rien. Sans doute est-ce pour votre jeunesse une vérité un peu dure, ou qui dépasse votre jugement ! Pour la comprendre, il vous suffirait de réfléchir un peu sur vous-même. N’êtes-vous pas bien différent de l’image que se font de vous les gens de Mégère ? Savaient-ils que vous les méprisiez ? Qu’auriez-vous gagné d’ailleurs à vous découvrir à des êtres d’une autre espèce ? Vous vous êtes tu, soit. Mais le silence même n’aurait