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Posant les deux mains sur ses épaules, il le fit reculer lentement jusqu’au mur où il le maintint une seconde. Mais dès que l’enfant sentit se relâcher l’étreinte, il glissa hors des bras du prêtre, fut d’un bond à l’autre extrémité de la pièce où il attendit, ramassé sur lui-même, tête basse, ainsi qu’un animal traqué.

– Assez de sottises ! fit le curé de Mégère. Vous m’obéirez, sinon… Voulez-vous que je vous fasse reconduire chez vous par la police ?

– La police ! répéta le petit d’une voix rauque. (Et il s’efforçait de rire sans pouvoir tirer de sa gorge autre chose qu’une espèce de gémissement.) Vous devez craindre la police plus que moi. Je vous ai suivi tout à l’heure. J’ai tout entendu.

– Ah ! dit simplement le curé de Mégère.

Il posa la main sur l’épaule du clergeon qui, cette fois, ne se déroba pas.

– Où ne vous aurais-je pas suivi ? reprit l’enfant à demi vaincu. (Les larmes commençaient à ruisseler sur ses joues bien que son visage restât convulsé de colère.) je vous aurais suivi n’importe où. Et pour obéir à cet affreux prêtre vous allez… vous allez vous rendre demain au juge comme un… comme un lâche…

– Me rendre ? Que pouvez-vous bien entendre par là ? Me prenez-vous pour un voleur ?

Le regard du petit glissa entre ses cils avec une expression indéfinissable de désespoir, d’orgueil, d’une sorte d’entêtement inflexible. Puis il se tourna vers l’angle le plus obscur de la soupente où brillait la ferrure nickelée d’un sac de cuir. Si rapide et si furtif que fût ce regard, celui du prêtre l’avait comme saisi au vol.

– Vous mériteriez d’être fouetté, dit-il sèchement. Qu’avez-vous fait de mes lettres ?

Du menton, l’enfant montra la lucarne ouverte. Le visage du curé de Mégère avait brusquement pâli.

– Allons-nous-en ! fit-il de la même voix dure, sans réplique.

Ils sortirent tous les deux, s’engagèrent dans la direction opposée à celle prise un moment plus tôt par le Basque. D’abord resserré entre ses parois de pierre, le chemin débouche brusquement dans une sorte de cirque où le vent d’ouest, le vent du large, apporte et fait tourner sans cesse, tout au long des interminables