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– C’est un imbécile, poursuivit le prêtre de sa voix toujours égale. Mais il a de la suite dans les idées, je le crois donc un imbécile assez dangereux.

– Hé bien, le hasard…

– Il n’y a pas de hasard, monsieur.

– C’est du moins le nom que je donne à la Providence lorsqu’elle me paraît compliquer les choses au lieu de les simplifier. Bref, ce juge d’instruction par le plus grand des hasards est venu achever à Bayonne la convalescence d’une grippe infectieuse fort grave. Et c’est justement chez moi qu’il a rencontré M. le curé de Castet. Vous m’avouerez que l’aventure est singulière.

Ils continuaient à marcher côte à côte et bien que le soleil fût encore au-dessus de l’horizon, la brume funèbre montait, invisible, mais dénoncée par son âcre parfum. La brise fraîchit tout à coup.

– Ce que je sais m’inspire un grand intérêt pour vous, monsieur. J’ajoute que la justice et les gens de justice, au contraire…

Il essaya de rire et s’arrêta stupéfait comme si ce grelottement de pauvre gaieté lui eût paru à lui-même, dans ce lieu désert et à cette heure sauvage du crépuscule. un bruit trop insolite, intolérable.

– Ce M. Frescheville désirait vous voir, et je me permets de vous faire part de ce désir, à ma manière. À ma manière, comprenez-vous ?

– Je vous remercie, dit le curé de Mégère sans quitter des yeux les lèvres de son interlocuteur comme s’il eût prétendu y lire sa secrète pensée.

– Vous auriez tort de croire que je me serais associé à quoi que ce fût qui ressemblât à une enquête policière. M. Frescheville est réellement ici en congé. L’affaire que vous savez ne l’intéresse plus qu’à titre privé. Elle a suivi d’ailleurs son cours et s’achemine, à ce qu’il prétend, vers une solution banale. Après tout, si j’ai bien compris, l’auteur du crime est mort, je me demande ce qu’ils peuvent souhaiter de plus.

Il passa son bras sous celui du curé de Mégère.

– Je sais ce que c’est qu’un jeune prêtre. À votre âge, il ne déplaît pas de se trouver en contradiction avec la lettre, au nom de l’esprit. Je ne vous blâme pas, certes, mais croyez-en