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il eût été bien ridicule de déguiser une fille en garçon, alors qu’il vous eût été plus facile… plus facile de quitter cet habit.

– Sans doute. Et j’avoue même qu’en raison des circonstances exceptionnelles que je traverse, j’étais assez disposé à prendre cette précaution contre la malveillance. Mais la présence auprès de moi de…

– De votre neveu ?

– Il n’est pas mou neveu, dit le curé de Mégère avec le plus grand calme. Et d’ailleurs, monsieur, vous le savez.

– Je le savais en effet, répliqua l’autre sur le même ton. De toute manière, cela ne regarde que vous. Mais je ne vous suis pas moins reconnaissant d’une franchise qui me met à l’aise pour vous dire que je considère comme remplie la mission particulière dont m’avaient chargé mes supérieurs. Que voulez-vous ? Je ne m’attendais pas à rencontrer ici un homme de votre qualité. Il m’est agréable de pouvoir vous parler désormais en mon nom.

– Je vous crois, dit le curé de Mégère. Je crains seulement que votre bonne volonté n’intervienne un peu tard, et vous allez vous compromettre pour rien.

– Il n’est jamais utile de se compromettre, remarqua le Basque, en secouant la tête. On ne se compromet que pour son plaisir. J’ai beaucoup vécu dans le monde, monsieur, je ne suis entré au séminaire qu’à trente ans passés, cela compte ! Si je croyais me trouver en présence de quelque jeune prêtre étourdi… Mais il suffit de vous voir, de vous entendre… L’épreuve que vous traversez doit être des plus graves, des plus angoissantes…

– Elle l’était, monsieur. On peut maintenant parler d’elle au passé. Car l’incertitude est le pire de nos maux et probablement même le seul.

– Soit. Pourtant il ne peut vous être inutile de savoir à quelle sorte de curiosité vous avez affaire. Celle des prêtres, aisément éveillée, s’apaise aussi vite…

Il posa le bout des doigts sur la manche du curé de Mégère, et dit lentement :

– Connaissez-vous un certain M. de Frescheville, ou Frescheville ?

– Fort bien, répliqua le curé de Mégère, sans sourciller.

– Que pensez-vous de lui ?