Page:Bernanos - Œuvres, tome 6 - Un crime ; Monsieur Ouine, 1947.djvu/141

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais elle ne tira pas un mot de plus du petit clergeon qui, refermant la fenêtre, alla s’asseoir sur le lit où il demeura, le regard au plafond, les jambes ballantes, jusqu’à ce que, de guerre lasse, Mme Pouce cédât la place en maugréant…

– Monsieur l’abbé, commença le curé de Mégère, je m’étonne un peu…

Il distinguait mal le prêtre inconnu qui sorti, à sa rencontre, l’attendait au bord du sentier, debout contre un mur, le visage dans l’ombre. Comme s’il devinait sa pensée, celui-ci fit un pas en avant. Quelques secondes, ils restèrent ainsi face à face sans un mot.

– Pardonnez mon insistance, dit le visiteur, d’une voix rauque. Personnellement j’avais le plus grand désir de vous connaître. Depuis l’année dernière je remplis un modeste emploi auprès de Monseigneur, mais ma maison natale, où je vais presque chaque semaine, se trouve à Castet, derrière cette colline, tout près. Nous sommes donc un peu voisins.

Derrière une des fenêtres de l’hôtel la face jaune du patron apparut, collée à la vitre et déjà d’une couleur et d’une immobilité d’expression si peu humaines qu’elle faisait penser à quelque monstrueuse excroissance végétale.

– C’est pour lui que j’ai pris la liberté de vous attendre au dehors, fit l’inconnu qui avait sans doute surpris le regard du curé de Mégère. Pauvre monsieur ! Cet affreux mal le travaille jour et nuit, ne lui laisse aucun repos, et il passe son temps à guetter les passants, ou même, hélas ! à écouter aux portes. Les rares clients de Mme Pouce se plaignent de l’avoir surpris plus d’une fois l’œil au trou de la serrure, comme un enfant. Nous n’aurions pu causer librement.

– Je ne pensais pas, dit le curé de Mégère, que nous ayons à nous entretenir de secrets bien importants…

Il haussa les épaules et reprit sa marche tête basse, l’air aussi indifférent que s’il eût fait seul cette promenade au bord de la falaise, comme chaque soir.

– M. le curé de Castet se proposait de vous rendre lui-même visite. Ce petit hameau, en effet, dépend de sa paroisse, et…

– J’aurais dû évidemment le devancer…