Page:Bernanos - Œuvres, tome 6 - Un crime ; Monsieur Ouine, 1947.djvu/140

Cette page n’a pas encore été corrigée

Elle se leva, secoua son tablier, et d’une voix qui s’efforçait de paraître indifférente, bien qu’elle frémît de curiosité :

– Probable qu’il y a du roman dans la vie de cet homme-là, pas vrai ? Un si joli garçon ! Je connais plus d’une femme qui se contenterait de sa figure. Et des mains ! Sûr qu’elles n’ont pas remué beaucoup la terre. Qu’est-ce que tu dis, garçon ?

– Moi, je ne dis rien, répliqua l’enfant, toujours sombre. Vous parlez tout le temps, madame Pouce.

– Oh ! on ne peut pas te reprocher d’être bavard, fit-elle avec une admiration naïve. Il te fait donc un peu peur, ton oncle ? Ou quoi ?

– Non ! protesta l’enfant, le regard dur. Je n’ai peur de personne, madame Pouce.

– Voyez-vous ça ! Allons, petit, garde tes secrets. N’empêche que si j’étais ta mère…

– Je vous ai déjà dit que je n’avais ni père ni mère, madame Pouce !

– Tu l’aimes donc bien ? reprit-elle après un silence.

Mais l’enfant pencha le buste hors de la fenêtre sans répondre et ses deux pieds quittant le sol, elle poussa un cri de terreur.

– Tu pourrais te tuer, galopin, fit-elle.

La voix du clergeon lui arrivait du dehors, curieusement déformée par la sonorité de l’abîme.

– Tout le monde l’aime, dit-il avec un rire amer.

– Jaloux ! Avoue que tu es jaloux de ton oncle, jaloux comme une fille : d’ailleurs je m’en suis aperçue tout de suite, il suffit de vous voir ensemble… Mais c’est vrai, aussi, qu’on s’attache à lui, on est pris sans seulement y avoir pensé. Tiens, dès le premier soir, rien que sa façon de me parler de mon pays, de Toulouse… Une belle ville, Toulouse, mais faut la comprendre… Et lui, un homme du Nord, hein ? des Ardennes ?…

L’enfant se dressa sur les poignets, la tête et le buste rejetés en arrière, la pointe de ses souliers battant le mur. Le vent faisait flotter ses cheveux blonds.

– À Toulouse ! fit-il d’une voix sifflante. Croyez-vous qu’il soit jamais allé à Toulouse ? Il a raconté ça pour rien, pour vous faire plaisir. Et les gens le croient. On le croit toujours.

– Tu ne vas pas dire que ton oncle est un menteur ?… insinua l’hôtesse, les yeux brillants.