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monde. Il tire donc son revolver et le garde à la main, histoire de se rassurer.

– Oui. À ce moment un pauvre type se présente, et il lui loge une balle dans la peau, sans lui avoir seulement souhaité le bonsoir…

– Se présente… Se présente… Il y a plus d’une manière de se présenter, patron ! Le gars qui s’amenait n’avait pas la conscience tranquille, vous pensez. Le petit curé a dû comprendre tout de suite qu’il ne venait pas lui demander sa bénédiction.

– Et alors ?

– Alors chacun file de son côté. Le type va crever plus loin. Le petit curé dégrisé retrouve son chemin du coup. On le retrouve toujours quand on ne le cherche plus. Dans la conversation avec la vieille, il se renseigne, il comprend que le gars sortait du parc de Mégère, qu’il a peut-être fait un sale coup au château, que son devoir aurait été de donner l’alerte. Et il la donne, l’alerte, avec une heure de retard. Ça vaut toujours mieux que rien, et ça a aussi l’avantage de lui épargner des explications.

– Idiot, mon cher. Et le voiturier ? Il n’a pas entendu le coup de feu, le voiturier.

– Si. Mais s’il est idiot tous les jours, il était saoul ce soir-là. Un ivrogne a des idées. La chose lui a paru louche, et il a inventé l’histoire de la poule-fantôme pour ne pas mettre en cause le curé.

Du perron des Quatre-Tilleuls, une des filles Simplicie les regardait venir. À leur approche, elle tourna le dos, rentra brusquement dans sa boutique. Presque aussitôt le brigadier apparut entre les arbres de la place dont il fit discrètement le tour avant de revenir ostensiblement vers son chef, tournant le dos à son point de départ.

– Il ne sort plus du cabaret celui-là, fit le magistrat. Les gens racontent qu’il courtise la plus jeune des filles Simplicie. Dame ! pour un veuf qui prendra sa retraite dans cinq ou six ans l’affaire n’est pas si mauvaise… Dites donc, reprit-il en élevant la voix, d’où venez-vous, mon ami ?

– Monsieur le juge, il y a chez vous un curé qui veut vous voir d’urgence…