Page:Bernanos - Œuvres, tome 6 - Un crime ; Monsieur Ouine, 1947.djvu/110

Cette page n’a pas encore été corrigée

soudain courage, et grogna d’une voix étranglée de frayeur et de colère.

– Mon curé ! Mon curé en vaut bien d’autres ! Et la justice ferait peut-être bien aussi de s’occuper d’un certain galopin, enfant de sorcière, d’un malappris, d’un mal avisé capable de tout, et qui…

Le reste se perdit dans sa gorge.

Ils marchèrent un moment côte à côte en silence. Le chemin qu’ils suivaient était ce même sentier qu’avait dû descendre, en pleine nuit, le curé de Mégère. Un peu avant la route, la pente plus escarpée encore, presque à pic, lavée par la pluie, n’est plus qu’une dalle ruisselante. Ils la gravirent avec peine, puis s’arrêtèrent pour souffler, laissant errer distraitement leurs regards sur le triste paysage décoloré. De cette place, à leur grande surprise, le château reste invisible. Ils n’aperçurent que les cimes des plus hauts arbres du parc, sur lequel s’enroulait et se déroulait, comme à l’ordinaire, le vol noir des corneilles.

– Vous triomphez, mon cher, dit enfin le juge aigrement.

– Mon Dieu, non… soupira l’inspecteur. Cette expérience ne vous apprend rien, je suppose ? Qu’il ait menti, cela ne faisait déjà plus doute pour moi, ni pour vous.

– Je regrette que vous ne l’ayez pas vu.

– Je l’ai vu… Autant qu’on peut voir un homme par un soir un peu sombre, à travers la haie de son jardin. Mais c’est votre faute, patron. Je venais de débarquer, hein, et j’ai reconnu de loin votre figure des mauvais jours.

– Vu et entendu, reprit le petit juge d’une voix pensive.

– Ben, dit l’autre, je suis un type assez grossier, dans mon genre… D’une manière, l’idée n’était pas si mauvaise de le laisser continuer seul son bonhomme de chemin : il aurait pu aussi bien nous conduire quelque part. Et d’ailleurs, on n’a pas toujours le choix. La dernière gaffe à faire c’est de vouloir coincer tout de suite un témoin, de le forcer à se contredire trop tôt. Quand même, pour parler franchement, j’aurais moins ménagé celui-là. Oui. Car maintenant…

– Maintenant…

– Oh ! vous savez, je ne tiens pas autrement à la supposition. Mais enfin si le personnage est, comme vous le pensez,