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II.



– Hé bien, madame Céleste, que voulez-vous que je vous dise ? Je n’y étais pas, moi.

– Sûr, ma pauvre Phémie, sûr. Mais enfin vous êtes venue cette nuit-là quand même. Je vous ai vue, je vous ai parlé, ça me rassure. Autrement je croirais d’avoir rêvé.

– C’est parce que vous y pensez trop, madame Céleste. À quoi bon se tourner les sangs. Laissez donc faire la justice.

– Ah ! oui, parlons-en de votre justice ! Me voilà-t-il pas seule ici maintenant pour répondre de tout. Jusqu’à ce morveux d’enfant de chœur qu’ils ont laissé filer, paraît-il. Oh, vous pouvez rire, ma belle. Pour moi, il a ensorcelé notre curé, ce Nicodème. Dès le lendemain matin, il n’était pas plus tôt entré dans la chambre avec sa tête de rat, qu’ils causaient tous les deux comme des camarades. L’après-midi de même. Le soir de même. Lorsque j’entrais, c’étaient deux paires d’yeux qui se levaient ensemble, vous auriez dit un rendez-vous d’amoureux. Et des mines !

– Qu’est-ce que vous allez penser là !

– Je me comprends. Des garçonnets dans son genre c’est tout autant malicieux que des filles, il n’y a pas plus vicieux, plus caressant. Jusqu’au petit juge qui a l’air d’en être assotté… Moi je ne suis qu’une vieille femme, ma fine. Mais j’aurais pris le gamin par les oreilles et je vous l’aurais fouetté avec une bonne poignée d’orties, à l’ancienne mode, histoire de lui faire retrouver sa langue.

– Pour dire quoi ?

– La vérité. Voilà un galopin que je laisse au presbytère passé onze heures, en tête à tête avec notre curé. Le lendemain, plus de curé. Qu’est-ce qu’il en a fait, du curé ?