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LA VILLE AUX ILLUSIONS

les énergies, désespère tous les courages… Il faut être solidement armé pour l’affronter et le conquérir ! Tout le monde ne peut pas le faire… Tu vois bien que le bon Dieu t’a nettement montré, en t’envoyant tous ces avatars, que ta voie n’était pas là… Tu possèdes une bonne instruction, c’est très bien, mais comparée à celle qu’il faut avoir pour réussir dans cette ville du diable… où d’ailleurs le succès est lié à des compromissions, des coups de chance qui n’ont rien à voir avec la valeur personnelle, des recommandations éhontées… elle est zéro ! Ah ! mon petit Jean, crois-moi : retourne à la terre, à la bonne terre maternelle et nourricière, qui ne trompe pas et ne déçoit pas ! Elle t’attend, là-bas, au pays… dans notre vieux village où le soleil brille si gaiement, où l’air est parfumé, où l’on se sent vivre et respirer, enfin ! Tu es l’héritier d’un beau patrimoine, ton vieux père use ses derniers jours à l’entretenir, ton retour serait pour lui le repos, la tranquillité, la consolation… Il pourrait mourir en paix… Il laisserait la ferre en de bonnes mains… Les vignes commencent à avoir besoin d’un sérieux coup de bêchage ; une aide jeune, comme la tienne, ferait là-bas de bonne besogne, je t’en réponds… Quant à ta brave femme de mère, elle serait bien heureuse d’avoir une bru vaillante et gentille, qui lui donnerait de beaux petits enfants à bercer… Ce n’est pas une de ces poupées parisiennes qu’il te faut, mon garçon… C’est au pays, là-bas, que tu trouveras celle qui te convient… une enfant courageuse qui ne renâclera pas devant la besogne, et qui t’apportera, en dot, à défaut des millions de Mlle Fousseret, un cœur sincère et deux bras vaillants.

— Je ne peux pas retourner là-bas, monsieur l’abbé…

— Pourquoi, sapristi ? Aurais-tu honte de nous ?

— Le Ciel m’en garde ! Mais que dirait-on, après m’avoir vu partir si plein d’espérance, revenir de la sorte… en vaincu ?

— Ta ! ta ! ta ! quelle idée ! Ça, c’est de l’orgueil, mon petiot… Il ne faut pas de ça… Il faut sarcler