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LA VILLE AUX ILLUSIONS

chette. À eux deux, ils firent de la bonne besogne et se chargèrent d’apprécier la cuisine de la maison, arrosée par un petit vin clair qui se laissait boire, mais qui réchauffait après.

Lorsqu’ils en furent au dessert l’abbé campa ses deux coudes sur la table et commença :

— Ce n’est pas tout ça… Parlons un peu de toi, mon petit. Que fais-tu au juste, ici ? Ton père m’a dit qu’il ne t’envoyait plus la pension, parce que tu lui avais écrit que tu gagnais largement ta vie… Je ne voudrais pas te froisser, mais laisse-moi te dire que tu n’en as pas du tout l’air…

Jean baissa le nez.

— Couci-couça…

— Je m’en doute… Pourquoi as-tu laissé tes études ? Le médecin le tes a défendues ? Qu’est-ce que c’est que cette blague-là ?

Et comme le jeune homme hésitait, l’abbé Murillot lui prit une de ses mains dans la sienne à lui, et la serra amicalement.

— Allons, mon petit Jean ! Tu sais bien que ce n’est pas la curiosité qui me fait t’interroger… Je me suis toujours beaucoup intéressé à toi, parce que tu es le plus brave garçon que je connaisse et que tu es pétri de qualités… Mais je crains que justement, tes qualités ne t’aient pas porté la chance… N’as-tu donc plus confiance en moi ?

Ces paroles affectueuses furent un baume sur le cœur ulcéré de l’ancien étudiant. Brusquement, il sentit un grand besoin d’épanchement le saisir… Se confier à quelqu’un qui le comprendrait… le consolerait… le remonterait… quel soulagement ! Décidément, c’était la providence qui avait mis l’abbé Murillot sur son chemin.

— Je vais vous dire, monsieur l’abbé, commença-t-il. J’ai été très malheureux…

— Ça se voit sur ta figure, tu sais, gamin !

— J’ai volontairement abandonné mes études…

— Pourquoi ça ?

— J’étais désespéré…