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LA VILLE AUX ILLUSIONS

des travailleurs manuels qui se presse dans les rues de Paris…

Il ferma les yeux, craignant que quelqu’un puisse y lire sa peine atroce… Une larme, lente, chaude, brûlante, traça un sillon sur sa joue amaigrie… Il l’essuya avec vivacité : pour rien au monde, il n’aurait voulu que l’un de ceux qui l’entouraient puisse deviner son secret…

Mais personne ne faisait attention à lui. La foule s’écoulait lentement, discutant avec animation le spectacle auquel elle venait d’assister. La toilette de la mariée, les robes des invitées, l’ordonnance du cortège, les personnalités remarquées, allaient servir d’aliment aux conversations pendant plusieurs jours.

Le soleil du dehors fit papilloter ses yeux. Le printemps décidait de faire une timide apparition et des paillettes d’or habillaient les flaques des ruisseaux, vernissaient le tronc des marronniers…

Traînant des pieds, il remonta la rue du général-Foy, afin de retrouver son jeune gardien et sa voiture. Il vit en effet l’un près de l’autre, mais le gamin avait déjà engagé une partie de billes avec un camarade, afin de charmer les longueurs de l’attente.

— V’là votre bagnole, m’sieur ! cria-t-il, lorsqu’il l’aperçut. Personne y a touché, je vous en réponds !

— Ça va ! Tu es un bon petit gars… Tiens, voilà tes autres vingt sous…

— Chic ! merci bien, m’sieur ! Ça me permettra d’avoir autant de billes que le copain Nénesse…

Et les deux gavroches de s’envoler, l’un pour trouver l’emploi judicieux de son capital, l’autre parce qu’il espérait bien en attraper des miettes…

Jean reprit le chemin de la librairie, l’esprit perdu dans un tumulte de pensées, si absorbé même qu’il faillit à plusieurs reprises se faire accrocher par un véhicule. Ce fut la violente apostrophe d’un chauffeur de taxi qui le tira de sa douloureuse torpeur, et le ramena au sentiment des réalités.

— Ben ! dis-donc ? C’est-y qu’il te faut des lunettes