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LA VILLE AUX ILLUSIONS

l’émotion, la souffrance, les larmes, il s’endormit profondément.

Quand il s’éveilla, une aube pâle traversait les vitres, et il entendait le clapotement de la pluie sur les toits. Il frissonna. Comme cette chambre était froide ! Le poële s’était éteint, après avoir dévoré ce qui constituait jadis ses projets d’avenir… sa future situation…

Il referma les yeux, lentement. Il aurait voulu s’endormir pour ne plus jamais s’éveiller… Mais son éducation lui défendait d’accomplir le geste suprême…

Les heures s’écoulèrent, silencieuses. Dans le cerveau las du jeune homme passaient de douloureuses pensées… Arlette… Arlette… Toujours Arlette !

Il se leva, tandis que huit heures sonnaient à l’église Saint-Sulpice.

— Je dois l’oublier, pensa-t-il. Elle ne m’est plus rien. Elle m’a montré son âme véritable qui est sèche, orgueilleuse, égoïste… Un travail absorbant, régulier, me sera salutaire… D’ailleurs, dès maintenant, ne dois-je pas chercher à gagner ma vie ?

Il s’habilla, descendit et alla prendre un déjeuner chaud au café le plus proche. Il n’avait pas dîné, la veille et son estomac commençait à le tirailler cruellement.

Ce fut le début de longues et fatigantes recherches… Le jeune homme ne s’était pas bien encore imaginé ce que pouvait être la vie de celui qui cherche un emploi pour gagner son pain…

Tout naturellement, il songea à entrer dans un bureau quelconque. Comme le font tous les provinciaux qui n’ont guère de relations dans la capitale, il dévora les petites annonces. Elles lui offrirent plus d’une désillusion…

Chaque fois qu’il arrivait, il trouvait une cinquantaine de concurrents de tous âges venus dans la même intention que lui… il y avait des jeunes gens ; il y avait quelquefois des vieux, le visage triste, le dos courbé… toute l’immense armée des sans-travail qui vont, nouveaux Juifs-Errants, talonnés par le spectre