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LA VILLE AUX ILLUSIONS

Ce fut alors que pour la première fois depuis qu’il avait été atteint, il pensa avec lucidité à ses études. Quel retard il allait avoir ! Pourrait-il passer en deuxième année à la rentrée prochaine ? Il se promit de travailler ferme pendant tout l’été pour compenser. Et Arlette ? Pourquoi n’était-elle pas venue ?

Dès qu’il avait été conscient, il avait demandé à l’infirmière si une jeune fille était venue prendre parfois de ses nouvelles. Mais on lui répondit que non : on n’avait vu personne.

Cette indifférence l’étonna et l’attrista. Pourquoi n’avait-elle même pas envoyé un mot ? Il chercha des excuses : n’avait-elle pas parlé d’aller aux sports d’hiver ? C’était cela, parbleu ! Elle était en voyage et ignorait sa maladie…

Il s’efforçait de trouver des raisons. Mais, au fond de lui-même, il ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il lui avait manqué bien peu, puisque depuis bientôt deux mois, elle n’avait pas manifesté le plus léger signe d’étonnement et d’intérêt devant son absence !

Par une belle journée tiède, qui semblait annoncer le printemps, il lit ses premiers pas dans le parc, encore faible comme un petit enfant, tremblant sur ses jambes… Ses vêtements flottaient autour de lui, d’une main, il s’appuyait sur une canne et de l’autre, sur le bras de l’infirmière…

Comme ce mois de février était exceptionnellement doux, il prit vile l’habitude, tous les jours, d’aller faire un petit tour aussitôt déjeuner… Bientôt, il put marcher tout seul. L’appétit revenait, avec une férocité telle qu’il en était parfois effrayé.

— Ce tout petit morceau de pain ? disait-il lorsqu’on lui apportait son déjeuner. Oh ! j’en aurais voulu un très gros !

— Non, non, jeune ogre ! répondait la garde, en riant. Plus tard ! Il ne faut pas aller trop vite ! Vous voulez donc retomber malade ?

— Jamais de la vie !

— Eh bien ! il faut jeûner un peu… Si tout va bien, la semaine prochaine, vous en aurez le double.