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ses épaules les caisses à claires-voies que remplissaient les salades ou les carottes, il pensait à leur prochaine réunion, ou bien, il se rappelait leur dernière entrevue… Comme elle était jolie, et comme les robes élégantes semblaient faites pour elle ! À la Faculté aussi, il travaillait d’arrache-pied. Ses professeurs l’estimaient. Ne fallait-il pas qu’il devienne vile un grand avocat, pour pouvoir payer lui-même les mille fantaisies de celle qu’il considérait déjà comme sa fiancée ? Et elle en avait !… Il ne connaissait même pas exactement quel chiffre elle consacrait à sa toilette et à ses caprices. Heureusement, d’ailleurs, car le pauvre garçon en serait resté atterré…

Arlette s’en souciait fort peu. Pour elle, l’argent n’avait aucune valeur. Dès sa première enfance, elle avait été habituée à voir tous ses désirs réalisés. Enfant, elle voulait des jouets coûteux : plus tard, elle avait toujours aimé les chiffons et les bijoux et dépensait sans compter pour eux. On l’aurait fort étonnée et sans doute un peu scandalisée si on lui avait appris que son humble amoureux se tuait dans un travail ingrat pour lui permettre une promenade ou une matinée au music-hall.

Bientôt Noël arriva. Jean avait été invité à réveillonner avec les Fousseret au cabaret du Chat-qui-Pêche. Mais, auparavant, il devait dîner avec eux, et aller à la messe de minuit à la Madeleine, où toutes les places, assurait Mme Fousseret, étaient déjà retenues.

Il se trouva encore fort en peine… Il devait être à deux heures aux Halles… Il passerait une nuit blanche — cette perspective n’était pas pour l’effrayer — mais à deux heures serait-il libre ? Et encore, il lui faudrait passer chez lui pour quitter le smoking loué pour un vieux costume qui lui servait dans ces occasions… Il faillit refuser, par crainte de perdre sa place. Mais aux premiers mots, Arlette lui jeta ce regard câlin auquel il ne savait pas résister.

— Oh ! Jean ! Ce n’est pas possible ! Vous devez réveillonner avec nous… Ce serait du joli, de s’aban-