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LA VILLE AUX ILLUSIONS

cette mauvaise herbe… Les gens diront : « Té ! Il a préféré le village à la grand’ville… et il a eu richement raison ! »

Mais le jeune homme secoua la tête, obstiné :

— Non, monsieur l’abbé… Je vous remercie de vos bons conseils… Je sais bien que c’est l’amitié que vous avez pour moi qui vous les dicte… Mais, laissez-moi ici, voyez-vous… Ma vie est finie…

L’abbé Murillot se mit à rire et posa sur l’épaule de l’entêté une main affectueuse.

— À dix-huit ans ! Allons ! Heureusement que tu ne sais pas ce que tu dis ! Mais, regarde-la donc, la vie, mauvaise tête ! Et en face, encore ! Tu la verras alléchante, pleine de promesses, de surprises… Ta vie finie, pour une désillusion ! Ah ! mon pauvre petit ! Dans ce cas, il n’y en a pas beaucoup qui vivraient encore, va ! Oublie-la, elle est mariée maintenant. C’est ton devoir. Agis en homme, sapristi ! Je t’avais jugé plus courageux ! Tu vois bien qu’elle t’aurait rendu malheureux !

Il soupira :

— C’est plus fort que moi… Je pense toujours à elle…

— Elle s’est bien moquée de toi ! répliqua brusquement l’abbé. Et toi, tu… Allons, allons, Jean ! La vie de Paris t’a donc rendu bien lâche !

Ce dernier mot fouetta le jeune homme. Il releva la tête qu’il avait tenue baissée jusque là.

— Ne me jugez pas comme ça, monsieur l’abbé… Ça me fait de la peine… Je vous promets que je vais tâcher de l’oublier. Je sais bien que vous avez raison ! Mais si vous saviez comme j’ai souffert !

— Raison de plus pour chercher à te guérir !

— J’essaierai…

Le prêtre se leva.

— Il faut que je rentre… Mon train part à six heures neuf, demain matin, et je ne tiens pas à le manquer…

Il ajouta malicieusement :

— Je ne suis pas comme toi, moi. La grand’ville