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L’ORCHESTRE.


L’orchestre peut être considéré comme un grand instrument capable de faire entendre à la fois ou successivement une multitude de sons de diverses natures, et dont la puissance est médiocre ou colossale, selon qu’il réunit la totalité ou une partie seulement des moyens d’exécution dont dispose la musique moderne, selon que ces moyens sont bien ou mal choisis et placés dans des conditions d’acoustique plus ou moins favorables.

Les exécutants de toute espèce dont la réunion le constitue, sembleraient alors en être les cordes, les tubes, les caisses, les plateaux de bois ou de métal ; machines devenues intelligentes, mais soumises à l’action d’un immense clavier touché par le chef d’orchestre, sous la direction du compositeur.

J’ai déjà dit, je crois, qu’il me semblait impossible d’indiquer comment on peut trouver de beaux effets d’orchestre, et que cette faculté, développée sans doute par l’exercice et des observations raisonnées, était comme les facultés de la mélodie, de l’expression, et même de l’harmonie, au nombre des dons précieux que le musicien-poëte, calculateur inspiré, doit avoir reçus de la nature.

Mais on peut certes démontrer aisément et d’une manière à peu près exacte l’art de faire des orchestres propres à rendre fidèlement les compositions de toutes formes et de toutes dimensions.

Il faut distinguer les orchestres de théâtre des orchestres de concert. Les premiers sous certains rapports, sont, en général, inférieurs aux seconds.

La place occupée par les musiciens, leur disposition sur un plan horizontal ou sur un plan incliné, dans une enceinte fermée de trois côtés ou au centre même d’une salle, avec des réflecteurs formés de corps durs propres à renvoyer le son, ou de corps mous qui l’absorbent et brisent les vibrations, et plus ou moins rapprochés des exécutants, ont une grande importance. Les réflecteurs sont indispensables ; on les trouve diversement disposés dans tout local fermé. Plus ils sont rapprochés du point de départ des sons, plus leur action est puissante.

Voilà pourquoi la musique en plein air n’existe pas. Le plus terrible orchestre placé au milieu d’un vaste jardin ouvert de toutes parts, comme celui des Tuileries, ne produira aucun effet. La réflexion même des murs du palais, si on l’y adosse, est insuffisante, le son se perdant instantanément de tous les autres côtés. Un orchestre de mille instruments à vent, un chœur de deux mille voix placés dans une plaine, n’auront pas la vingtième partie de l’action musicale d’un orchestre ordinaire de quatre vingts musiciens et d’un chœur de cent voix bien disposés dans la salle du Conservatoire. L’effet brillant produit par les bandes militaires dans certaines rues des grandes villes vient à l’appui de cette proposition qu’il semble contredire. La musique alors n’est pas en plein air les murailles des hautes maisons qui bordent les rues à droite et à gauche, les allées à arbres, les façades des grands palais, des monuments voisins, servent de réflecteurs ; le son rebondit et circule activement dans l’espace circonscrit qui lui est assigné entre eux avant de s’échapper par les points restés libres ; mais que la bande militaire, en poursuivant sa marche et en continuant de jouer, débouche d’une grande rue ainsi retentissante dans une plaine dépourvue d’arbres et d’habitations, la diffusion des sons est instantanée, l’orchestre disparait, il n’y a plus de musique.

La meilleure manière de disposer les exécutants, dans une salle dont les dimensions sont proportionnées à leur nombre, est de les élever les uns au dessus des autres par une série de gradins, combinés de telle sorte que chaque rang puisse envoyer ses sons à l’auditeur sans aucun obstacle intermédiaire.

Tout orchestre de concert bien ordonné doit être ainsi échelonné. S’il a été élevé sur un théâtre, la scène devra être parfaitement close au fond, à droite et à gauche et en haut par une enceinte en boiseries.

S’il est dressé au contraire dans une salle spéciale ou dans une église dont il occupe l’une des extrémités, et si, comme il arrive souvent en pareil cas, le fond de cette enceinte formé d’épaisses constructions renvoie avec trop de force et de dureté le son des instruments qui l’avoisinent, on peut diminuer facilement la force du réflecteur, et par suite le ralentissement, en tendant un certain nombre de draperies et en rassemblant sur ce point des corps propres à briser le mouvement des ondes sonores.