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les moyens qu’on employait encore il y a quelques années pour remplir l’une et parvenir à l’autre.

Les choses ont un peu changé depuis lors, mais bien peu[1].

Les faits que je vais citer paraîtront sans doute fort extraordinaires et improbables à la plupart des lecteurs, mais ayant obtenu successivement le second et le premier grand prix au concours de l’Institut, je ne dirai rien que je n’aie vu moi-même, et dont je ne sois parfaitement sûr. Cette circonstance d’ailleurs me permet d’exprimer toute ma pensée, sans crainte de voir attribuer à l’aigreur d’une vanité blessée ce qui n’est que l’expression de mon amour de l’art et de ma conviction intime.

La liberté dont j’ai déjà usé à cet égard a fait dire à Cherubini, le plus académique des académiciens passés, présents et futurs, et le plus violemment froissé en conséquence par mes observations, qu’en attaquant l’Académie je battais ma nourrice. Si je n’avais pas obtenu le prix, il n’aurait pu me taxer de cette ingratitude, mais j’aurais passé dans son esprit et dans celui de beaucoup d’autres pour un vaincu qui venge sa défaite. D’où il faut conclure que d’aucune façon je ne pouvais aborder ce sujet sacré. Je l’aborde cependant et je le traiterai sans ménagement, comme un sujet profane.

Tous les Français ou naturalisés Français, âgés de moins de trente ans, pouvaient et peuvent encore, aux termes du règlement, être admis au concours.

Quand l’époque en avait été fixée, les candidats venaient s’inscrire au secrétariat de l’Institut. Ils subissaient un examen préparatoire, nommé concours préliminaire, qui avait pour but de désigner parmi les aspirants les cinq ou six élèves les plus avancés.

Le sujet du grand concours devait être une scène lyrique sérieuse pour une ou deux voix et orchestre ; et les candidats, afin de prouver qu’ils possédaient le sentiment de la mélodie et de l’expression dramatique, l’art de l’instrumentation et les autres connaissances indispensables pour écrire passablement un tel ouvrage, étaient tenus de composer une fugue vocale. On leur accordait une journée pour ce travail. Chaque fugue devait être signée.

Le lendemain, les membres de la section de musique de l’Institut se rassemblaient, lisaient les fugues et faisaient un choix trop souvent entaché de partialité, car un certain nombre de manuscrits signés appartenaient toujours à des élèves de MM. les Académiciens.

  1. Elles sont aujourd’hui changées tout à fait. L’Empereur vient de supprimer cet article du règlement de l’Institut, et ce n’est plus maintenant l’Académie des Beaux-Arts qui donne le prix de composition musicale. 1865.