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dont les noms sont assez connus dans notre monde politique, venaient de fonder à l’appui de leurs opinions religieuses et monarchiques, un recueil littéraire intitulé : Revue européenne. Afin d’en compléter la rédaction, ils voulurent s’adjoindre quelques collaborateurs.

Humbert Ferrand proposa de me charger de la critique musicale : «Mais je ne suis pas un écrivain, lui dis-je, quand il m’en parla ; ma prose sera détestable, et je n’ose vraiment...... — Vous vous trompez, répondit Ferrand, j’ai vu de vos lettres, vous acquerrez bientôt l’habitude qui vous manque ; d’ailleurs, nous reverrons vos articles avant de les imprimer, et nous vous indiquerons les corrections qui pourront y être nécessaires. Venez avec moi chez de Carné, vous y connaîtrez les conditions auxquelles cette collaboration vous est offerte.»

L’idée d’une arme pareille mise entre mes mains pour défendre le beau, et pour attaquer ce que je trouvais le contraire du beau, commença aussitôt à me sourire, et la considération d’un léger accroissement de mes ressources pécuniaires toujours si bornées, acheva de me décider. Je suivis Ferrand chez de Carné, et tout fut conclu.

Je n’ai jamais eu beaucoup de confiance en moi, avant d’avoir éprouvé mes forces ; mais cette disposition naturelle se trouvait augmentée ici par une excursion malheureuse que j’avais déjà faite dans le champ de la polémique musicale. Voici à quelle occasion. Les blasphèmes, des journaux rossinistes de cette époque contre Gluck, Spontini, et toute l’école de l’expression et du bon sens, leurs extravagances pour soutenir et prôner Rossini et son système de musique sensualiste, l’incroyable absurdité de leurs raisonnements pour démontrer que la musique, dramatique ou non, n’a point d’autre but que de charmer l’oreille et ne peut prétendre exprimer des sentiments et des passions ; tout cet amas de stupidités arrogantes émises par des gens qui ne connaissaient pas les notes de la gamme, me donnaient des crispations de fureur.

En lisant les divagations d’un de ces fous je fus pris un jour de la tentation d’y répondre.

Il me fallait une tribune décente ; j’écrivis à M. Michaud, rédacteur en chef et propriétaire de la Quotidienne, journal assez en vogue alors. Je lui exposai mon désir, mon but, mes opinions, en lui promettant de frapper dans ce combat aussi juste que fort. Ma lettre à la fois sérieuse et plaisante lui plut. Il me fit sur-le-champ une réponse favorable. Ma proposition était acceptée et mon premier article attendu avec impatience. «Ah ! misérables ! criai-je en bondissant de joie, je vous tiens !» Je me trompais, je ne tenais rien, ni personne. Mon inexpérience dans l’art d’écrire était trop grande, mon ignorance du monde et des convenances de la presse trop complète, et mes passions musicales avaient trop de violence pour que je ne fisse pas au début un véritable pas de clerc. L’article