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l’air de soprano (nº 22), au second acte, air d’une tristesse profonde, où toute la poésie de l’amour se montre éplorée et en deuil, et où l’on trouve néanmoins vers la fin du morceau des notes ridicules et d’une inconvenance tellement choquante, qu’on a peine à croire qu’elles aient pu échapper à la plume d’un pareil homme. Dona Anna semble là essuyer ses larmes et se livrer tout d’un coup à d’indécentes bouffonneries. Les paroles de ce passage sont : Forse un giorno il cielo ancora sentirà a-a-a (ici un trait incroyable et du plus mauvais style) pietà di me. Il faut avouer que c’est une singulière façon, pour la noble fille outragée, d’exprimer l’espoir que le ciel aura un jour pitié d’elle !... Il m’était difficile de pardonner à Mozart une telle énormité. Aujourd’hui, je sens que je donnerais une partie de mon sang pour effacer cette honteuse page et quelques autres du même genre, dont on est bien forcé de reconnaître l’existence dans ses œuvres[1].

Je ne pouvais donc que me méfier de ses doctrines dramatiques, et cela suffisait pour faire descendre à un degré voisin de zéro le thermomètre de l’enthousiasme.

Les magnificences religieuses de la Flûte enchantée m’avaient, il est vrai, rempli d’admiration ; mais ce fut dans le pasticcio des Mystères d’Isis que je les contemplai pour la première fois, et je ne pus que plus tard, à la bibliothèque du Conservatoire, connaître la partition originale et la comparer au misérable pot-pourri français qu’on exécutait à l’Opéra.

L’œuvre dramatique de ce grand compositeur m’avait, on le voit, été mal présentée dans son ensemble, et c’est plusieurs années après seulement que, grâce à des circonstances moins défavorables, je pus en goûter le charme et la suave perfection. Les beautés merveilleuses de ses quatuors, de ses quintettes et de quelques-unes de ses sonates furent les premières à me ramener au culte de l’angélique génie dont la fréquentation, trop bien constatée, des Italiens et des pédagogues contre-pointistes, a pu seule en quelques endroits altérer la pureté.

  1. Je trouve même l’épithète de honteuse insuffisante pour flétrir ce passage. Mozart a commis là contre la passion, contre le sentiment, contre le bon goût et le bon sens, un des crimes les plus odieux et las plus insensés que l’on puisse citer dans l’histoire de l’art.