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Ô misérable !... Et l’on donne cinquante coups de fouet à un pauvre matelot pour la moindre insubordination !...

C’était pour assurer aussi le succès de la Flûte enchantée, de Mozart, que le directeur de l’Opéra, plusieurs années auparavant, avait fait faire le beau pasticcio que nous possédons, sous le titre de : les Mystères d’Isis. Le livret est un mystère lui-même que personne n’a pu dévoiler. Mais, quand ce chef-d’œuvre fut bien et dûment charpenté, l’intelligent directeur appela à son aide un musicien allemand pour charpenter aussi la musique de Mozart. Le musicien allemand n’eut garde de refuser cette tâche impie. Il ajouta quelques mesures à la fin de l’ouverture (l’ouverture de la Flûte enchantée ! ! !) il fit un air de basse avec la partie de soprano d’un chœur[1] en y ajoutant encore quelques mesures de sa façon ; il ôta les instruments à vent dans une scène, il les introduisit dans une autre ; il altéra la mélodie et les desseins d’accompagnement de l’air sublime de Zarastro, fabriqua une chanson avec le chœur des esclaves «O cara armonia,» convertit un duo en trio, et comme si la partition de la Flûte enchantée ne suffisait pas à sa faim de harpie, il l’assouvit aux dépens de celles de Titus et de Don Juan. L’air «Quel charme à mes esprits rappelle» est tiré de Titus, mais pour l’andante seulement ; l’allégro qui le complète ne plaisant pas apparemment à notre uomo capace, il l’en arracha pour en cheviller à la place un autre de sa composition, dans lequel il fit entrer seulement des lambeaux de celui de Mozart. Et devinerait-on ce que ce monsieur fit encore du fameux «Fin ch’han dal vino,» de cet éclat de verve libertine où se résume tout le caractère de Don Juan ?... Un trio pour une basse et deux soprani, chantant entre autres gentillesses sentimentales, les vers suivants :

Heureux délire !
Mon cœur soupire !
Que mon sort diffère du sien !
Quel plaisir est égal au mien !
Crois ton amie,
C’est pour la vie
Que mon sort va s’unir au tien.
Ô douce ivresse
De la tendresse !
Ma main te presse,
Dieu ! quel grand bien ! (sic)

Puis, quand cet affreux mélange fut confectionné, on lui donna le nom de les Mystères d’Isis, opéra ; lequel opéra fut représenté, gravé et publié[2] en cet

  1. Le chœur : Per voi risplende il giorno.
  2. La partition des Mystères d’Isis et celle de Robin des Bois sont imprimées, elles se trouvent toutes les deux à la bibliothèque du Conservatoire de Paris.