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flûte étaient déjà données. J’en demande une de choriste. Il n’y en avait plus. Mort et furies ! !... Le régisseur pourtant prend mon adresse, en promettant de m’avertir si l’on se décidait à augmenter le personnel des chœurs. Cet espoir était bien faible ; il me soutint néanmoins pendant quelques jours, après lesquels une lettre de l’administration du Théâtre des Nouveautés m’annonça que le concours était ouvert pour la place objet de mon ambition. L’examen des prétendants devait avoir lieu dans la salle des Francs-Maçons de la rue de Grenelle-Saint-Honoré. Je m’y rendis. Cinq ou six pauvres diables comme moi attendaient déjà leurs juges dans un silence plein d’anxiété. Je trouvai parmi eux un tisserand, un forgeron, un acteur congédié d’un petit théâtre du boulevard, et un chantre de l’église de Saint-Eustache. Il s’agissait d’un concours de basses ; ma voix ne pouvait compter que pour un médiocre baryton ; mais notre examinateur, pensais-je, n’y regarderait peut-être pas de si près.

C’était le régisseur en personne. Il parut, suivi d’un musicien nommé Michel, qui fait encore à cette heure partie de l’orchestre du Vaudeville. On ne s’était procuré ni piano ni pianiste. Le violon de Michel devait suffire pour nous accompagner.

La séance est ouverte. Mes rivaux chantent successivement, à leur manière, différents airs qu’ils avaient soigneusement étudiés. Mon tour venu, notre énorme régisseur, assez plaisamment nommé Saint-Léger, me demande ce que j’ai apporté.

— Moi ? rien.

— Comment rien ? Et que chanterez-vous alors ?

— Ma foi, ce que vous voudrez. N’y a-t-il pas ici quelque partition, un solfège, un cahier de vocalises ?...

— Nous n’avons rien de tout cela. D’ailleurs, continue le régisseur d’un ton assez méprisant, vous ne chantez pas à première vue, je suppose ?...

— Je vous demande pardon, je chanterai à première vue ce qu’on me présentera.

— Ah ! c’est différent. Mais puisque nous manquons entièrement de musique, ne sauriez-vous point par cœur quelque morceau connu ?

— Oui, je sais par cœur les Danaides, Stratonice, la Vestale, Cortez, Œdipe, les deux Iphigénie, Orphée, Armide...

— Assez ! assez ! Diable ! quelle mémoire ! Voyons, puisque vous êtes si savant, dites-nous l’air d’Œdipe de Sacchini : Elle m’a prodigué.

— Volontiers.

— Tu peux l’accompagner, Michel ?

— Parbleu ! seulement je ne sais plus dans quel ton il est écrit.

— En mi bémol. Chanterai-je le récitatif ?

— Oui, voyons le récitatif.