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avez jointe en m’envoyant des feuilles des arbres de Meylan, qui me rappellent les beaux jours de ma jeunesse et des joies qui l’accompagnaient.

»Dimanche mon fils et moi, nous nous unirons en lisant votre œuvre, à vos succès et au plaisir qu’aura Suzanne d’entendre votre musique.

»Recevez, monsieur, l’assurance des sentiments affectueux que je vous envoie.

»EST. F******.»

Ce fut moi cette fois qui répondis :

«Paris, lundi 19 décembre 1864.

»En passant à Grenoble, au mois de septembre dernier, j’allai faire une visite à l’un de mes cousins qui se trouvait à Saint-Georges, hameau perdu dans les âpres montagnes de la rive gauche du Drac, et qu’habite la plus misérable population. La belle-sœur de mon cousin s’est dévouée au soulagement de tant de souffrances, elle est la gracieuse providence du pays. Le jour où j’arrivai à Saint-Georges, elle apprit qu’une chaumière assez éloignée était sans pain depuis trois semaines. Elle s’y rendit aussitôt, et s’adressant à la mère de famille :

» — Comment, Jeanne, vous êtes dans la peine et vous ne m’en faites rien dire ! vous savez pourtant que nous avons la bonne volonté de vous aider autant que possible.

» — Oh ! mademoiselle, nous ne manquons pas. Nous avons encore des pommes de terre et un peu de choux. C’est les enfants qui n’en veulent pas. Ils pleurent, ils crient, ils veulent du pain. Vous savez, les enfants, ça n’est pas raisonnable.

» — Eh bien, madame ! chère madame, vous aussi vous avez fait en m’écrivant une bonne action. Je m’étais imposé une réserve absolue pour ne pas vous fatiguer de mes lettres, et j’attendais toujours le retour de votre belle-fille, pour avoir de vos nouvelles. Elle n’arrivait pas, et j’étouffais, comme un homme qui a la tête dans l’eau et ne veut pas l’en tirer... Vous le savez, les êtres tels que moi, ça n’est pas raisonnable.

»Et cependant, je ne sais que trop la vérité, croyez-le, je ne raisonne que trop,