Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/51

Cette page n’a pas encore été corrigée

ont de plus insolemment méprisant pour le culte des arts, aient pu amener entre une mère aussi tendre que l’était la mienne et un fils aussi reconnaissant et respectueux que je l’avais toujours été, une scène pareille ?… Scène d’une violence exagérée, invraisemblable, horrible, que je n’oublierai jamais, et qui n’a pas peu contribué à produire la haine dont je suis plein pour ces stupides doctrines, reliques du moyen âge, et, dans la plupart des provinces de France, conservées encore aujourd’hui.

Cette rude épreuve ne finit pas là. Ma mère avait disparu ; elle était allée se réfugier à une maison de campagne nommée le Chuzeau, que nous avions près de la Côte. L’heure du départ venue, mon père voulut tenter avec moi un dernier effort pour obtenir d’elle un adieu, et la révocation de ses cruelles paroles. Nous arrivâmes au Chazeau avec mes deux sœurs. Ma mère lisait dans le verger au pied d’un arbre. En nous apercevant, elle se leva et s’enfuit. Nous attendîmes longtemps, nous la suivîmes, mon père l’appela, mes sœurs et moi nous pleurions ; tout fut vain ; et je dus m’éloigner sans embrasser ma mère, sans en obtenir un mot, un regard, et chargé de sa malédiction !…


XI


Retour à Paris. — Je donne des leçons. — J’entre dans la classe de Reicha au Conservatoire. — Mes dîners sur le Pont-Neuf. — Mon père me retire de nouveau ma pension. Opposition inexorable. — Humbert Ferrand. — R. Kreutzer.


À peine de retour à Paris et dès que j’eus repris auprès de Lesueur le cours de mes études musicales, je m’occupai de rendre à de Pons la somme qu’il m’avait prêtée. Cette dette me tourmentait. Ce n’était pas avec les cent vingt francs de ma pension mensuelle que je pouvais y parvenir. J’eus le bonheur de trouver plusieurs élèves de solfège, de flûte et de guitare, et en joignant au produit de ces leçons des économies faites sur ma dépense personnelle, je parvins